Côté mutations venant du numérique et de la transition écologique, 2022 a été d'un dynamisme époustouflant. Vous pensez que ça va se calmer ? Détrompez-vous et préparez-vous à accélérer.

Dès 2020, cette décennie nous a appris à tanguer, et pas qu'un peu. On insiste souvent sur le climat de crises systémiques, d'effondrements et de nouveaux rapports de force. Mais 2022 a surtout été le terreau d'émergences et de mutations radicales. Vous rêvez de renouveau ? Vous allez être servis !

Faisons le point sur nos sujets, la révolution du numérique et la transition écologique. Ces deux phénomènes majeurs sont étroitement liés. D'abord par leurs effets de taille : la révolution numérique comme la crise du climat ont en commun de s'imposer en présentant des chiffres énormes qui sidèrent par la vitesse avec laquelle ils s'imposent. Parler de disparition des espèces ou d'adoption d'un hashtag sur TikTok n'a rien à voir, mais c'est toujours gigantesque. Ensuite, la révolution numérique comme la crise du climat ont des impacts systémiques et radicaux qui changent tout, pour tous : nos psychés individuelles, nos représentations sociales, nos modèles d'organisation... Enfin, la révolution du numérique comme la transition écologique exigent que nous pivotions et changions presque totalement nos anciens modèles. Et il se trouve qu'en 2022, la révolution du numérique comme la transition écologique ont connu des effets d'accélération particulièrement remarquables. Explications.

2022 : la transition écologique passe à l'échelle La crise du Covid, la guerre en Ukraine, et leurs multiples effets en cascade conjugués aux manifestations visibles de la crise du climat ont eu des effets profonds sur la transition écologique. Ils ont accéléré notre conscience de l'urgence climatique et la compréhension de la radicalité des changements qu'il faudra mettre en place.

Ce qu'il s'est passé en 2022 La prise de conscience s'est pris un coup de boost : le temps des collapsologues est déjà derrière nous. Non pas que leurs alertes aient perdu en force. Au contraire. L'écoanxiété est devenue le malaise du siècle et a fait basculer durablement les mentalités. L'été 2022, en nous faisant ressentir physiquement l'urgence de la situation a encore dynamisé la tendance. Chez les plus jeunes, clairement, mais chez les plus âgés aussi. Passer à l'échelle : côté entreprises, ça a également bougé, ETI et PME en tête. Si la majorité ne sait toujours pas par où commencer la transition écologique, on a conscience que les actes symbolico.bullshit ne suffiront plus. Souvenez-vous le début de la révolution numérique quand on se demandait si on devait prendre un webmaster – ou deux, et si la petite cellule digitale devait être autonome ou rattachée à la direction marketing ! Ça y est, la transition écologique en est là. On a compris qu'un directeur RSE n'y suffira pas et qu'il s'agit de réformer l'ensemble de nos modèles : de la production à la conception des produits jusqu'à l'expression de nos objectifs ou le calcul de nos performances. On est très loin d'avoir toutes les réponses à toutes les questions, mais disons qu'on voit mieux l'ampleur du chantier. Le grand remix : on a longtemps opposé les performances de croissance avec des objectifs de sobriété. Mais, surprise, les entreprises qui entament leur transition écologique démontrent qu'elle n'est pas antinomique avec l'excellence de leurs performances économiques. Avec les crises à rebond, la naïveté a changé de camp : c'est ceux qui choisissent de ne pas prendre la question du climat au sérieux qui risquent de perdre gros. Un exemple ? La question de l'énergie. Les entreprises qui avaient déjà commencé à réduire leurs dépenses énergétiques étaient mieux préparées à l'explosion de leurs coûts. Souvenez-vous des formules chocs des débuts du digital : il s'agissait de s'adapter, ou mourir. La transition écologique nous place dans la même dynamique, on n'a pas franchement le choix si on veut tenir dans la durée. On n'a pas encore trouvé de mot équivalent à l'ubérisation. On peut parier qu'il finira par apparaître. Ce qui est en cours pour 2023 Une recomposition radicale des modèles de business. Première étape de toute transition, les entreprises qui se lancent dans la transition commencent par scruter leur bilan carbone. Et toutes pigent la même chose : le gros de leurs dégâts ne vient pas de leur consommation de gobelets en plastique mais plutôt de certains prestataires qui les plombent. Ce qui a un effet fort intéressant à comprendre : les efforts d'un seul vont avoir des répercussions sur tout son écosystème. Et ce n'est pas tout. Ces entreprises constatent également qu'elles ne pourront pas tout résoudre seules : il va falloir qu'elles travaillent avec leurs partenaires, leurs clients, leurs équipes et même leurs concurrents. Un exemple ? Si une entreprise de cosmétique veut mettre en place du vrac chez ses distributeurs, elle est obligée de mobiliser non seulement tout son réseau de vente, mais également ses concurrents. Là encore, les efforts d'un seul vont commencer à provoquer des effets d'emballement exponentiel. En matière de stratégie, les entreprises mettent en œuvre de nouvelles modalités : plus circulaires, plus locales, plus coopérantes qui viseront non plus le zéro carbone, mais carrément la régénération – on en reparlera sûrement souvent en 2023. Un nouveau bréviaire de l'entreprise s'invente et il change radicalement la plupart des pratiques déployées depuis l'ère industrielle. Un défi énorme, passionnant et qui finira bien par stimuler davantage que d'inquiéter (#wishesfor2023).

2022 : la révolution numérique passe la troisième En 2022, on a vu l'émergence de deux nouveaux pans du numérique : le Web3 d'une part et les intelligences artificielles dites génératives d'autre part. Effet de mode qui disparaîtra façon bulle ou nouvelle étape de la révolution numérique ? On optera pour une autre analyse : une énorme bulle qui a déjà éclaté mais qui va transformer le numérique en profondeur. Voyons le Web3 d'abord, les IA génératives ensuite.

Ce qu'il s'est passé en 2022 pour le Web3 On récapitule parce que si on a tous dans l'oreille la formule Web3, sa définition n'est ni claire, ni stabilisée. Oubliez qu'il est question de blockchain, de cryptomonnaie, de métavers ou de réalité augmentée... Pour la plupart d'entre nous, ces technologies n'ont d'intérêt que par les usages qu'elles font émerger. Le Web1, c'était la joie de la sérendipité – on cliquait de lien en lien, d'un contenu (écrit) à l'autre – on s'enthousiasmait pour la plus grande bibliothèque du monde, tous les savoirs étaient désormais à portée de clic. Le Web2, c'était le règne des réseaux sociaux – tout le monde pouvait entrer en contact avec tout le monde, les célébrités étaient aussi à portée de clic. On se réjouissait d'un monde qui ressemblait à un village, c'était le règne du partage et de la créativité – chacun pouvant devenir producteur de contenus – du texte, de l'image, du son et de la vidéo. En gros, le Web3 poursuit le Web1 et le Web2, mais en prétendant changer la place allouée à l'internaute : il est censé nous permettre de reprendre le contrôle sur les géants du Net. Jusque-là, les plateformes nous donnaient plus de savoirs, plus de contacts et la capacité de produire et monétiser nos contenus... mais au bout du bout, l'internaute se faisait plumer. On lui piquait ses datas – et ses posts – d'un côté, pour le gaver de pubs de l'autre.

Avec le Web3, les utilisateurs sont censés reprendre le contrôle de leurs données et pouvoir faire du business entre pairs, sans être « soumis » aux grandes plateformes, sans intermédiaire donc. D'où cette notion d'un Web dit décentralisé. En 2022, le concept du Web3 a gagné en visibilité et, dans la foulée, a perdu en crédit en enchaînant deux cycles fulgurants : des valorisations délirantes puis un décrochage sévère du marché. Après avoir fait le yoyo, les cryptomonnaies nous ont offert au final la lamentable faillite de FTX. Après avoir multiplié les coûts de com, même les NFT les plus visibles ont vu leur valeur s'effondrer. Les annonces tonitruantes de Facebook devenant Meta ont accouché d'un métavers où personne n'a envie d'aller. Quant aux promesses de décentralisation, elles en ont pris un coup. Toutes les technos du Web3 ont créé de nouvelles fortunes pour quelques-uns et provoqué la faillite de la très grande majorité des autres. Bref, à ce stade, on pourrait dire que le bilan du Web3 c'est une instabilité brutale pour un système qui ressemble à une pyramide de Ponzi...

L'internaute a-t-il cessé de se faire plumer ? La question est vite répondue..., c'est non. Alors, faut-il annoncer la mort du Web3, voire la souhaiter ? Ce serait prématurité, et sans doute un peu vain. Souvenez-vous de la bulle du multimédia. On était au début de ce siècle et après l'explosion, beaucoup pariaient sur la mort du multimédia – d'Internet donc. The rest is history... Disons que le Web3 en est là. Ça dégouline de promesses ostentatoires, les définitions sont bancales, les technos, les business models et les usages immatures... et la bulle a bel et bien explosé. Mais, tout l'écosystème se mobilise, et si on follow the money qui afflue sur ces sujets, on peut miser que dans la durée, il va se passer quelque chose. Comme le multimédia en son temps, ça ne ressemblera à rien de ce qu'on avait imaginé et promis, mais, à coup sûr, ce sera énorme.

Ce qui est en cours pour 2023 En matière d'usages, le Web3 devrait faire advenir un Web encore plus social, tribal même – comme on peut déjà l'observer avec l'émergence des communautés autour des cryptos, des NFT, et un Web encore plus marchand aussi. Car les technos du Web3 permettent de tout vendre, de tout acheter en ajoutant un gigantesque marché qui doublera le marché existant : les biens et services complètement numériques. Vous avez aimé dépenser dans le monde réel ? Vous allez adorer meubler, habiller, voyager... dans votre vie numérique. Cela n'est déjà plus une fiction dans l'univers du gaming et cette économie des avatars ne va plus cesser de gagner du terrain. Certes, les internautes pourront monter leurs propres business mais on verra surtout émerger de nouveaux géants – des acteurs français comme Sorare ou Ledger – et beaucoup d'autres encore. Quant au métavers – VR ou VA – même combat. Il est en train de créer un Web prêt à sortir des écrans pour proposer des expériences qui engageront notre corps... Et ça ira beaucoup plus loin que tout ce qu'on connaît aujourd'hui... La frontière entre le monde réel et le monde numérique en devient de plus en plus floue – de moins en moins étanche – et s'interpénètre.

Ce qu'il s'est passé en 2022 pour l'IA L'intelligence artificielle nous a habitués à des hivers longs et des épiphanies courtes. Mais, en 2022, on a assisté à l'arrivée massive des intelligences artificielles génératives, appelées aussi modèles de langage. C'est quoi, donc ? Ce sont des IA capables, à partir d'une énorme quantité de datas, de produire, de manière autonome, des contenus totalement originaux : du texte, du son, de l'image et même de la vidéo... Un exemple ? Côté image, demandez-lui de vous designer un fauteuil qui s'inspire de la forme d'un avocat et, en quelques minutes, une IA générative peut en créer des centaines – plus vite, plus diverses que le plus productif des designers. Côté texte, demandez-lui de vous composer un poème à la manière de Corneille qui encenserait votre partenaire, et voilà qu'il vous compose une déclaration d'amour en alexandrins, avec césure à l'hémistiche s'il vous plaît. Ce qui a été frappant en 2022, c'est l'adoption des internautes qui se sont rués massivement sur ces outils pour jouer avec. Certains en ont vite fait le tour et se sont lassés. D'autres sentent bien qu'on peut aller plus loin et que cela pourrait être leur prochain métier. Quant aux créatifs, ils sentent bien que ce machin pourrait bien rebooter leur métier. On ne sait pas encore bien définir ce que cela va changer, à quelle échelle et à quel horizon – dès 2023, dans dix ans, 20 ans ? Les trois sans doute...

Ce qui est en cours Un énorme virage technologique qui va redistribuer les cartes et faire apparaître une foultitude de nouveaux produits et de nouveaux usages. Une preuve ? Le code rouge lancé chez Google en décembre 2022 après avoir compris de quoi était capable le ChatGPT conçu par Open IA et proposait un test aux internautes quelques semaines avant. Un code rouge chez Google – c'est l'équivalent d'une alerte incendie. Une alerte pour tous les employés d'arrêter tout, et de travailler à leur survie. Comme l'explique de manière limpide The New York Times : « Au cours des trois dernières décennies, une poignée de produits tels que le navigateur Web de Netscape, le moteur de recherche de Google et l'iPhone d'Apple ont véritablement bouleversé l'industrie technologique et fait ressembler ce qui les a précédés à des dinosaures pesants. Il y a trois semaines, un chatbot expérimental appelé ChatGPT a fait valoir qu'il était le prochain grand perturbateur de l'industrie. Il peut fournir des informations dans des phrases claires et simples, plutôt qu'une simple liste de liens Internet. Il peut expliquer des concepts de manière à ce que les gens puissent facilement les comprendre. Il peut même générer des idées à partir de zéro, y compris des stratégies commerciales, des suggestions de cadeaux de Noël, des sujets de blog et des plans de vacances. »

On ne sait pas trop quand ni comment la chose va évoluer... mais vous pouvez être certain d'une chose : quand Google dégaine un code rouge, c'est que ça va tanguer. Et fort.

Allez, une dernière auto réf pour la route, on vous a décrypté la tendance des IA génératives dans la revue titrée Les années molles, dans notre dossier blockbuster consacré à GPT-3.

Bref. On l'aura compris – si 2022 a été une année incroyablement riche en émergences radicales – 2023 devrait la prolonger dans la même dynamique